26/07/2024 arretsurinfo.ch  8min #253445

 Mobilisation contre la participation d'Israël aux Jo: le conflit de Gaza fait de nouveau irruption dans le débat

«Une cible dans le dos des sportifs israéliens... »: des Jo d'ores et déjà politiques

Par  Laurent Dauré

Crédits photo/illustration en haut de page : Diane Lataste

Il y a un nouveau jeu rhétorique à la mode chez les soutiens de Tel-Aviv. Il consiste à accuser ceux qui s'opposent à la venue de la délégation israélienne aux Jeux olympiques de Paris de « mettre une cible dans le dos » des sportifs. Le génocide en cours à Gaza ne doit pas gâcher la fête.

Pour avoir déclaré le 20 juillet lors d'un rassemblement en soutien au peuple palestinien à Paris que « la délégation israélienne n'est pas la bienvenue » aux Jeux olympiques et appelé à se mobiliser contre sa présence, le député LFI Thomas Portes a été accusé par de nombreux défenseurs de Tel-Aviv de « mettre une cible dans le dos » des sportifs. Et d'être antisémite bien sûr. L'Organisation juive européenne (OJE) a  annoncé vouloir porter plainte contre l'élu pour « provocation à la haine ».

La galaxie pro-israélienne hexagonale, de droite et d'extrême droite, a matraqué les mêmes éléments de langage, allant parfois jusqu'à laisser entendre que le parlementaire insoumis chercherait à inspirer un remake de la prise d'otage des Jeux olympiques de Munich en 1972 au cours de laquelle onze athlètes israéliens furent tués par l'organisation palestinienne Septembre noir.

Parmi les utilisateurs de la rhétorique de « la cible dans le dos », on trouve notamment les ministres démissionnaires  Gérald Darmanin et 𝕏 Aurore Berger, le président du Crif 𝕏 Yonathan Arfi, le président d'honneur de la Licra 𝕏 Alain Jakubowicz, les élus RN 𝕏 Julien Odoul et 𝕏 Matthieu Valet, le sénateur LR 𝕏 Max Brisson, la sénatrice UDI 𝕏 Nathalie Goulet, l'ancien porte-parole de Tsahal 𝕏 Julien Bahloul, l'animateur 𝕏 Cyril Hanouna, le président de l'UEJF  Samuel Lejoyeux, le président du syndicat de médecins UFML 𝕏 Jérôme Marty, les acteurs 𝕏 Véronique Genest et 𝕏 Guillaume Mélanie, les chroniqueuses 𝕏 Céline Pina et 𝕏 Zohra Bitan...

Ces personnalités cherchent à faire un exemple de Thomas Portes, il s'agit de le calomnier en bande pour intimider toute personne révoltée par le génocide en cours à Gaza et la dissuader d'exprimer publiquement son indignation face à l'impunité d'Israël, dont la venue de la délégation sportive à Paris est un signe supplémentaire. Vouloir que le droit international soit respecté et exiger que la France agisse diplomatiquement pour faire cesser les massacres, c'est « appeler à la haine ». Voilà ce qui tient lieu d'argumentaire chez les admirateurs plus ou moins assumés de M. Netanyahu.

Le député LFI n'est même pas allé jusqu'à appeler au boycott sportif - ce qui serait légal, comme l'a rappelé  l'UJFP -, il propose seulement que les athlètes israéliens concourent sous bannière neutre, comme ce sera le cas pour les Russes et les Biélorusses (à propos desquels  Anne Hidalgo a dit qu'eux aussi « ne sont pas les bienvenus à Paris »), mais pour les facilitateurs français de l'épuration ethnique des Palestiniens, c'est déjà trop. Ils veulent que le drapeau et l'hymne de l'État hébreu puissent plastronner fièrement dans la capitale française, comme si son armée n'avait pas tué à 3 200 kilomètres de là 46 848 Gazaouis, dont 10 292 femmes et 15 813 enfants - 60 % des victimes -, selon le 𝕏 dernier bilan (12 juillet) de l'ONG Euro-Med Human Rights Monitor.

Un  article paru le 5 juillet dans le journal médical britannique The Lancet estime que le nombre de décès directs et indirects pourrait s'élever à 186 000, voire davantage. Cela équivaudrait à 7,9 % de la population de Gaza. Malheureusement le Comité international olympique (CIO) n'indique pas dans son règlement à partir de quel pourcentage un pays s'expose à des sanctions...

Renversement sémantique

Dans le contexte du génocide, l'utilisation de l'expression « mettre une cible dans le dos » pour chercher à faire taire Thomas Portes et ceux qui partagent ses positions relève de la grossièreté intellectuelle et morale. Il s'agit par ailleurs d'une tentative de limitation de la liberté d'expression qui s'inscrit dans la campagne déjà ancienne des soutiens inconditionnels d'Israël visant à criminaliser la critique de sa politique suprémaciste et barbare (et à confondre antisionisme et antisémitisme). La ficelle est grosse comme l'amarre d'un porte-conteneurs, mais les aficionados de Tsahal tentent malgré tout de faire passer les Israéliens pour les véritables victimes, même quand les images de bébés palestiniens déchiquetés s'amoncellent.

Ruth Elkrief fut mise sous protection policière par Gérald Darmanin suite à un  tweet de Jean-Luc Mélenchon, le ministre de l'Intérieur  estimant que le leader de la France insoumise mettait « une cible dans le dos » de l'éditorialiste. Les ennemis de la liberté d'expression s'efforcent habituellement d'abolir la distinction entre les paroles et les actes, entre les opinions plus ou moins radicales (de leurs adversaires) et les actions violentes. La rhétorique de la « cible dans le dos » franchit une étape supplémentaire en essayant d'amalgamer critique politique et terrorisme. Dans leurs efforts frénétiques pour détourner l'attention de la pléthore de crimes de guerre commis par l'armée israélienne, les zélateurs de Tel-Aviv cherchent à transformer l'opposant politique, le contradicteur, en sympathisant voire en commanditaire du terrorisme.

S'il est légitime de débattre de l'efficacité et de la pertinence de la pratique de la bannière neutre ou du boycott sportif, par contre le deux poids, deux mesures dans leur application n'est pas défendable. Si l'on admet qu'il était justifié d'interdire la délégation d'Afrique du Sud de participation aux Jeux olympiques tant que l'apartheid y était en vigueur, il suit que l'on doit faire de même avec les sportifs israéliens puisque le peuple palestinien subit lui aussi une  politique d'apartheid (voir aussi  l'avis récent de la Cour internationale de justice). Rappelons au passage, avec  Alain Gresh, « l'alliance tissée entre Israël et l'Afrique du Sud dirigée entre 1948 et 1994 par le Parti national, une formation qui porte à son paroxysme la ségrégation raciale ».

Les sportifs professionnels sont certes des individus mais ils dépendent de fédérations nationales, c'est-à-dire du ministère des Sports de leur pays. Une délégation officielle aux Jeux olympiques représente une nation, ses membres en arborent les couleurs, drapeau et hymne paradent quand ils montent sur le podium. Et lorsque l'équipe de judo féminine israélienne 𝕏 visite fin décembre 2023 une base militaire à quelques kilomètres de Gaza pour « faire le plein d'inspiration » ou que le porte-drapeau de la délégation, le judoka Peter Paltchik, 𝕏 soutient le génocide, le lien entre sport et politique devient flagrant.

Le Comité olympique palestinien  évaluait fin mai que 300 athlètes avaient été tués à Gaza, dont l'entraîneur de l'équipe de foot Hani Al-Masdar et la championne de karaté Nagham Abu Samra. Celle-ci est morte le 11 janvier 2024 des suites de ses blessures après le bombardement de sa maison dans le camp de Nuseirat en décembre. Par le simple fait d'être palestinienne, elle avait une cible dans le dos.

 Laurent Dauré, 25 juillet 2024

Source:  Blast-info.fr

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